Les chemins de la liberté

Publié dans Jobboom, mars 2011

Les grandes distances à parcourir, les délais de livraison serrés, les longues heures passées loin de la maison. Pour les camionneurs et autres chauffeurs de poids lourds, c’est ça le bonheur. Entre autres.

par Marie-Claude Élie Morin

Donald Porlier se souviendra toujours de son voyage jusqu’à San Antonio, au Texas, à la fin de l’été 2005. Camionneur de longue distance pour le Groupe Robert depuis plus de 30 ans, il a fait partie d’un convoi de 20 camions envoyés par la Croix-Rouge canadienne pour livrer des lits de camp et du matériel d’urgence aux sinistrés de la Louisiane, victimes peu de temps auparavant de l’ouragan Katrina.

«La ville de Detroit avait même fermé à la circulation ses artères majeures et un pont pour laisser filer notre convoi. C’était très émouvant de traverser les États-Unis pour aller porter ce matériel à des gens qui en avaient grand besoin.»

Pour René Tremblay, ex-camionneur devenu enseignant, c’est le ciel immensément bleu du Wyoming qui lui revient en mémoire lorsqu’il pense à ses 14 années sur la route. Sandra Doyon, camionneuse chez Transwest, garde quant à elle le souvenir de s’être arrêtée, au petit matin, sur le bord de la route au Nebraska, simplement pour faire un saut dans un champ de tournesols en fleurs.

Des paysages majestueux, des centres urbains grouillants, des oasis de tranquillité : les camionneurs roulant sur de longues distances en ont plein la vue. Plusieurs ont justement choisi le métier pour l’aventure, l’envie d’aller loin et de découvrir de nouvelles réalités.

Les grands explorateurs

«La majorité des aspirants camionneurs de longue distance ont un tempérament curieux. Ils veulent voir du pays, ne pas avoir de routine et être libres», confirme Eddy Vallières, directeur du Centre de formation en transport de Charlesbourg. «Plusieurs sont également passionnés de mécanique et veulent relever le défi de dompter une grosse machine comme un camion-remorque.»

Donald Porlier se reconnaît dans cette description. Lui qui espérait au départ être affecté aux livraisons en Ontario pour ne pas s’éloigner de la maison a eu la piqûre de la grande route dès ses premiers voyages aux États-Unis. «Visiter les orangeraies de la Floride pendant que tout le monde gèle au Québec, ça n’a pas de prix!»

L’absence de routine et les découvertes renouvelées sont également de puissants attraits. «La majorité des gens passent l’essentiel de leur vie dans un rayon de 400 kilomètres. Un routier, lui, parcourt jusqu’à 5 000 kilomètres par semaine. On n’est jamais au même endroit. J’ai eu la chance de visiter des fonderies, des usines automobiles, des firmes de robotique», illustre Donald Porlier.

Sur la route de l’inspiration

 

Après avoir travaillé comme guide-accompagnatrice en tourisme un peu partout au Canada et aux États-Unis, Sandra Doyon a décidé d’ajouter une corde à son arc en obtenant un permis pour conduire des autobus en 2000. Au cours de sa formation, elle a bifurqué vers le camionnage de longue distance. «J’avais envie d’être dépaysée et de relever le défi de conduire un gros camion!»

Elle ne savait pas qu’elle serait également séduite par les moments de contemplation au cours des longues heures passées sur la route. «Le métier de camionneur te donne beaucoup de temps pour penser, confie-t-elle.

C’est comme ça que j’ai commencé à écrire.» En 2005, Sandra Doyon s’achète un portable pour la route et crée un blogue pour raconter ses aventures en camion. Dans son Journal de bord d’une camionneuse, elle partage ses émotions du jour et ses observations sur l’Amérique. En 2011, les éditions Goélette publieront d’ailleurs un recueil de ses chroniques.

Sacrifices nécessaires

Le métier comporte toutefois ses revers. Les longues heures passées en position assise ont des conséquences sur la santé : maux de dos, perte de masse musculaire, prise de poids en raison des repas trop riches offerts dans les arrêts routiers. «Il faut avoir une discipline personnelle. Autrement, le corps est affecté», explique Sandra Doyon.

La vie de couple et de famille en prend aussi pour son rhume. Longues absences répétées, rendez-vous manqués, courtes pauses avant de repartir sur la route. «Il faut une conjointe ou un conjoint compréhensif», note Eddy Vallières.

«C’est difficile de maintenir l’harmonie quand tu ne peux pas promettre à ta conjointe que tu pourras l’accompagner dans une fête, par exemple», confirme Donald Porlier.

La maternité n’est pas plus facile à concilier avec le camionnage, comme le constate Sandra Doyon, qui attend un enfant. Conduire un camion sur de longues distances est considéré comme un risque pour la grossesse, elle a donc dû cesser immédiatement de travailler. Mais puisque l’entreprise qui l’emploie est enregistrée sous une charte fédérale (comme les compagnies aériennes), Sandra n’a pas droit aux compensations pour retrait préventif prévues par la loi québécoise. Elle doit se rabattre sur des prestations d’assurance-emploi moins généreuses et qui la pénaliseront lorsque viendra le temps de calculer ses prestations au Régime québécois d’assurance parentale à partir de son revenu moyen.

Un amour inconditionnel

Malgré ces difficultés, certains camionneurs ne se verraient pas faire autre chose, estimant que les avantages compensent les inconvénients. C’est que les camionneurs de longue distance arrivent aussi à gagner un salaire intéressant. «On est payés au mille (l’étalon de mesure dans le transport nord-américain). Un chauffeur qui parcourt 3 000 milles (près de 5 000 kilomètres) par semaine peut s’attendre à un salaire hebdomadaire d’environ 1 100 $ nets», indique Donald Porlier, qui fait régulièrement la tournée des écoles comme Ambassadeur de la route pour l’Association du camionnage du Québec.

Quelles qualités faut-il posséder pour embrasser le métier? «Une bonne dose d’autonomie et de débrouillardise», note René Tremblay, aujourd’hui professeur au Centre de formation en transport de Charlesbourg. «Le camionneur doit planifier sa route et gérer son temps tout seul pour effectuer ses courses à l’heure. Il faut une bonne endurance physique pour effectuer en moyenne 70 heures de travail en 7 jours. Enfin, la patience et la courtoisie sont nécessaires pour ne pas péter les plombs dans les embouteillages!» conclut-il.

Ça vous dit d’embarquer?

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *