Seuls ensemble

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Syndicat pour travailleurs autonomes

Seuls ensemble

Magazine Jobboom
Vol. 9 no. 7
août 2008

Dans la région de New York, le Freelancers Union, un «syndicat» de travailleurs autonomes, rassemble aujourd’hui 75 000 membres. Les pigistes du Québec peuvent-ils rêver à une pareille association?

par Marie-Claude Élie Morin

Sarah Horowitz, fondatrice du Freelancers Union

«L’échinacée n’est pas une forme acceptable d’assurance médicale». C’est ce que les usagers du métro de New York pouvaient lire ce printemps sur les affiches un brin baveuses du Freelancers Union, un syndicat de travailleurs autonomes fondé par une jeune avocate, Sara Horowitz.

Tout a commencé par une plaisanterie ironique. Après ses études en droit, Sara Horowitz est embauchée par un puissant syndicat qui s’empresse de la «reclassifier» comme travailleuse autonome afin d’épargner les coûts associés aux avantages sociaux. Un jour, des collègues de travail lui offrent, à la blague, de la papeterie avec un en-tête qui fait d’elle la présidente de l’«Union des travailleurs transitoires».

L’idée fait son chemin dans l’esprit de Sara Horowitz. «On voulait travailler sur un nouveau modèle syndical, raconte Sara Horowitz depuis son bureau de Brooklyn. Les lois du travail aux États-Unis ont vu le jour dans les années 1930, à une époque où la majorité des travailleurs avaient le même employeur pendant toute leur vie. Aujourd’hui, environ 30 % des travailleurs évoluent sans relation avec un employeur ou alors cette relation est considérablement affaiblie.»

La loi américaine considère le travailleur autonome comme un entrepreneur indépendant, et il n’a pas le droit de se syndiquer. La plupart des travailleurs autonomes n’ont ainsi pas d’assurance médicale parce que ça devient trop coûteux pour eux d’acheter des polices individuelles.

La mission du Freelancers Union est toute simple : constituer une organisation sans but lucratif qui va permettre aux travailleurs autonomes d’utiliser la force du nombre pour négocier des polices d’assurance abordables. L’adhésion de base est gratuite et les membres achètent les services qu’ils veulent, à la carte.

Aujourd’hui, le Freelancers Union compte plus de 70 000 membres. L’équipe de Sara Horowitz milite pour obtenir des politiques fiscales mieux adaptées à la réalité des travailleurs indépendants, notamment une forme d’assurance-emploi.

Un exemple pour le Québec?

Selon l’Institut de la statistique du Québec, 13,3 % de la main-d’œuvre québécoise était constituée de travailleurs autonomes en 2006. Cette proportion va en augmentant. Le recensement de 2006 de Statistique Canada indique en effet que le nombre de travailleurs autonomes avec une entreprise constituée en société a crû de 17,9 % entre 2001 et 2006. Une croissance deux fois et demie plus forte que ce que l’on observe chez les salariés.

Or, les lois du travail n’ont pas suivi cette transformation du marché de l’emploi. Comme aux États-Unis, la syndicalisation des pigistes n’est toujours pas permise, et les services collectifs qui leur sont destinés demeurent peu nombreux.

Tous les pigistes ne sont pas en situation précaire. Des ingénieurs, des informaticiens, des avocats et certains coiffeurs gagnent très bien leur vie. La précarité guette toutefois bon nombre d’entre eux. En 2005, la Coalition des travailleurs et travailleuses autonomes du Québec établissait le revenu moyen des travailleurs autonomes à un peu plus de 29 000 $, un salaire nettement insuffisant pour s’offrir des assurances santé complémentaires ou un fonds de retraite digne de ce nom.

«Si je manque de travail pendant un certain temps, je n’ai pas le droit à l’assurance emploi, raconte Annie Langlois, styliste. Les assurances dentaires ou autres, on oublie ça. Quand je travaille beaucoup, ça va, mais dès qu’il y a un creux, ça devient très stressant.»

Même son de cloche du côté de Mélanie Veilleux, designer de mode. «Rien n’est organisé pour nous faciliter la vie. Par exemple, c’est difficile d’obtenir du crédit du côté des banques et des institutions. C’est quand même dommage que le fait de générer son propre emploi ne soit pas plus valorisé.»

Des recommandations tablettées

Le besoin de protection sociale des travailleurs autonomes et atypiques a fait l’objet d’une volumineuse étude en 2003 – le rapport Bernier – commandée par le ministère du Travail et dirigée par Jean Bernier, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval.

«Une importante partie de ces travailleurs ont très peu de sécurité sociale puisque la loi les considère comme des entrepreneurs, constate Jean Bernier. Ils n’ont pas le droit de se syndiquer et n’ont pas accès à l’assurance emploi ni aux caisses de retraite, à une exception près, soit les artistes de la scène et du cinéma, qui sont représentés par l’Union des artistes. Notre rapport recommandait de s’inspirer de ce modèle et de l’appliquer à d’autres secteurs.»

Il donne l’exemple des travailleurs du multimédia, qui se comptent aujourd’hui par milliers au Québec, et qui travaillent fréquemment pour plusieurs clients ou employeurs à la fois. Malheureusement pour ces travailleurs, le rapport Bernier s’empoussière depuis au rayon bien garni des rapports tablettés.

De toute façon, le gouvernement, lui-même employeur, empêche la syndicalisation de certains de ses «pigistes». En décembre 2003, l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance a retiré le droit de se syndiquer aux éducatrices en milieu familial. Elles avaient pourtant obtenu ce droit auprès du Tribunal du travail. Ces éducatrices seraient de fausses travailleuses autonomes.

Martine Lespérance fait partie des éducatrices qui cherchent à obtenir les mêmes avantages que leurs consœurs des CPE. «Pour l’instant, j’ai tous les inconvénients du salariat – je ne choisis ni mes tarifs ni mon horaire – et tous les inconvénients du travail autonome – je n’ai pas de congés payés ni d’assurance emploi», déplore-t-elle.

La Centrale des syndicats du Québec souhaite faire invalider ces lois et attend toujours la décision de la Cour supérieure du Québec à cet égard.

Faites-le en groupe

De leur côté, les grands syndicats se positionnent et militent en faveur de certains regroupements. Ainsi, les chauffeurs de taxi reçoivent l’appui du Syndicat des Métallos, affilié à la FTQ. En pilotant le Regroupement professionnel des chauffeurs de taxi, le syndicat défend leurs intérêts devant les différents paliers de gouvernement et leur donne accès à des tarifs préférentiels pour les assurances et l’essence, moyennant une cotisation annuelle de 190 $.

En 2005, la Coalition des travailleurs et travailleuses autonomes du Québec (CTTAQ) voyait le jour, avec pour mission de représenter ces différentes associations et d’être un interlocuteur unique auprès du gouvernement. «Nous avons notamment défendu les droits des travailleurs autonomes dans l’application du Régime québécois d’assurance parentale, et nous continuons à travailler pour obtenir plus de justice fiscale pour nos membres», explique Stéphane Laforest, président de la Coalition.

Faute de moyens, la CTTAQ est très peu visible et peine à se faire connaître par les travailleurs autonomes.

Génération cigale

L’anonymat dans lequel baigne la CTTAQ tient peut-être à ceci : les autonomes sont généralement satisfaits de leur vie!

«Je trouve que je ne peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Je me dis que la précarité est la contrepartie de la liberté que j’ai au quotidien et des déductions fiscales auxquelles j’ai droit», confie Samuel Dansereau, entrepreneur en immobilier.

Une attitude plus cigale que fourmi, constate Martine D’Amours, sociologue et chercheuse au Département de relations industrielles de l’Université Laval. «On a encore l’image de l’entrepreneur qui réussit. Ça existe, mais il y a aussi beaucoup de travailleurs autonomes qui vivent d’énormes difficultés et ils sont peu nombreux à prendre la parole», déplore-t-elle.

Elle n’est pas non plus impressionnée par les associations professionnelles qui négocient des avantages collectifs pour leurs membres, comme le Freelancers Union. «Ce sont des initiatives intéressantes, mais elles sont très éparpillées et le fardeau demeure disproportionné pour les travailleurs autonomes par rapport aux salariés, parce qu’ils sont seuls à cotiser. Ceux qui profitent de leur travail, c’est-à-dire les employeurs ou les clients, s’exemptent des coûts. On va se retrouver plus tard avec une génération de retraités pauvres, qui n’auront pas profité de régimes d’épargne. Il y aura un coût à payer.»

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